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Catégories : Si Bolbec m'était conté

Si les toiles réalisées aux Indes étaient peintes au pinceau, en France, on a utilisé la technique de l’impression à la planche de bois gravée. Le premier à intervenir dans la manufacture est le dessinateur-graveur. Il réalise sur papier un dessin coloré du motif à imprimer. Si le motif possède plusieurs couleurs, il va alors décomposer le dessin et réaliser autant de planches de bois qu’il y a de couleurs à imprimer sur le tissu.

 

 

L’imprimeur place la planche dans le fond du bac qui contient la couleur qu’un enfant, le tireur, a étalé en couche bien régulière avec une raclette. Le motif de la planche se charge en couleur. Il pose la planche sur le tissu. Il frappe ensuite sur la planche avec une massette pour bien répartir la couleur sur la toile. Il lève la planche et il recommence en décalant le motif. La toile faisant environ 30 mètres, il doit donc reporter le motif plusieurs fois.

 

 

Se pose alors la question : après avoir imprimé la première couleur sur le tissu, comment l’imprimeur faisait-il pour placer la deuxième couleur exactement au bon endroit ? L’observation de ces planches nous donne la solution : La planche comporte dans les coins des petites pointes appelées picots. Lorsqu’il frappe la première planche, les picots vont faire des marques dans le tissu qui vont servir de repères ; d’abord pour décaler le motif et ensuite pour imprimer la deuxième couleur, le deuxième planche ayant les mêmes picots aux mêmes endroits, il n’a plus qu’à placer les picots de la deuxième planche dans les marques de la première pour que la deuxième couleur vienne se placer exactement au bon endroit.

 

 

Ces planches étaient jalousement gardées par le manufacturier qui les mettait sous clé dès qu’elles cessaient d’être utilisées. La concurrence qui règne entre les indienneurs les fait rechercher le progrès technique qui fera que leurs toiles se vendront mieux que les concurrents. Comme on peut le voir sur les exemples, d’une facture très naïve, présentés sur la photo, ces planches de bois ne permettent pas d’imprimer des motifs très fins et très jolis. Dès qu’on essaie de graver quelque chose de fin en relief dans le bois, les traits du motif finissent par casser. Les indienneurs vont alors chercher à faire des dessins plus fins et plus jolis.

 

Ils vont remplacer les planches de bois gravés par des planches où le motif est réalisé avec des lamelles de cuivre ou de laiton auxquelles on va donner une forme et qu’on va ensuite incruster dans le bois. C’est un travail extrêmement délicat car il faut que toutes les lamelles soient à la même hauteur pour que le dessin s’imprime correctement. Mais cette technique, bien qu’elle permette des dessins d’une très grande finesse, va aussi être abandonnée parce que trop coûteuse et trop longue à mettre en œuvre.

 

 

Les manufacturiers vont ensuite utiliser la technique dite de la « plombine ». Le motif entier ou les parties du motif sont réalisées avec un mélange de plomb et d’étain coulé dans un moule représentant le dessin. Après refroidissement, le dessin en plomb est alors récupéré et cloué sur une planche de bois. Cette technique permet d’obtenir rapidement des dessins d’une grande finesse.

 

 

Toutes ces techniques à la planche jusqu’ici présentées sont des techniques manuelles. Cela veut dire que les indienneurs qui les utilisent produisent très lentement et donc ne produisent pas beaucoup. Le progrès technique suivant va consister à aller plus vite pour produire davantage et ainsi baisser les coûts de production. Au début du XIXe siècle, les premières machines arrivent à Bolbec. Un cylindre de bois portant le motif à imprimer est monté sur la machine qui est mue par un moulin à eau. Le cylindre tourne et imprime le motif sur le tissu qui défile. La production se fait alors en continu avec la même cadence que celle de 24 ouvriers à la main. Mais les indienneurs se heurtent toujours au même problème, à savoir que l’impression d’un motif à plusieurs couleurs nécessite autant de rouleaux que de couleurs, il faut changer le rouleau sur la machine et le tissu passe plusieurs fois.

 

 

Le progrès technique suivant va donc consister à imprimer toutes les couleurs du motif en un seul passage. Tous les rouleaux sont donc montés sur la même machine. Les manufacturiers ont réussi à faire des monstres qui pouvaient imprimer 16 couleurs à la fois, faisaient le travail de cent ouvriers à la main.

 

 

La dernière avancée technique va remplacer le cylindre de bois par un cylindre de cuivre gravé. Contrairement aux planches et aux rouleaux de bois qui impriment, le motif étant en relief, sur le tissu, le cylindre de cuivre est gravé en creux (la taille douce). La couleur vient se loger dans le trait de la gravure, ce qui permet de réaliser des motifs d’une finesse extraordinaire.

 

 

 

Le tissu ne passe qu’une seule fois dans la machine qui n’imprime qu’une seule couleur.  Il est possible de graver sur la surface du cylindre de cuivre des hachures, de types différents, plus ou moins serrées, ce qui fait qu’avec la même couleur, on peut imprimer sur le tissu, des tons plus ou moins foncés. Plus les hachures sont serrées, plus la couleur est foncée. C’est le principe de la toile à personnages dont les premières en France ont été réalisées dans la manufacture de Jouy-en-Jossas et sont plus connues sous le nom de toiles de Jouy.

 

 

Les toiles à personnages ont connu un tel succès que l’on en a imprimées partout en France et particulièrement à Bolbec qui sera l’un des derniers centres d’indiennage en France, avec Rouen, à produire ce genre de tissus, bien après la fermeture de la manufacture de Jouy-en-Josas en 1843, imposant un nouveau style dans ce genre, moins raffiné pour être d’un prix plus abordable mais d’une iconographie et d’une facture très intéressantes. Nous avons retrouvé sur ces toiles de Bolbec du XIXe siècle, la signature de graveurs bolbécais comme Jean-François Cornélis,  Jamet,  François Pieters, Marius Rollet et Philippe Wingaërt, avec un petit dernier récemment découvert, Florentin Daniel. L’association « Bolbec, au fil de la mémoire » s’attache depuis  4 ans à retrouver ces toiles du XIXe siècle et les faire revenir dans la ville où elles ont été fabriquées. A ce jour, 21 pièces ont été récupérées et sont présentées dans l’espace Indiennes de l’atelier-musée du textile.