Vous êtes ici : Accueil » MA MAIRIE » PUBLICATIONS » #13 Quand les Bolbécais marchaient sur la tête

Catégories : Si Bolbec m'était conté

Autrefois, les Bretonnes portaient des coiffes et les Cauchoises des bonnets. Autrefois, Bretonnes et Cauchoises marchaient avec des sabots et les Bolbécaises se coiffaient …d’un « sabot ». Non, les Bolbécaises ne marchaient pas sur la tête, mais le bonnet dont elles se coiffaient s’appelait un « sabot », nom donné parce qu’on trouvait une ressemblance entre la chaussure paysanne en bois évidé et la forme du bonnet porté par les élégantes de Bolbec  du XVIIIe siècle. Il faut croire, d’ailleurs,  que la réputation de cette coiffe  était solidement établie puisque Gustave MAUCONDUIT, dans son ouvrage « Histoire des rues de Bolbec », apporte encore quelques éléments concernant ce bonnet   :  » A propos du bonnet de cauchoise, que l’on admirait encore sur la tête des plus belles femmes du pays de Caux, c’est-à-dire des Bolbécaises, au commencement du siècle, et dont un fut remis, en 1785, au prince de Condé et au duc d’Orléans, qui l’avaient commandé à Madame Hellot, qui demeurait au milieu de la rue aux Chevaux (rue Guillet actuelle), lorsqu’ils passèrent à Bolbec, en accompagnant Louis XVI, revenant de Cherbourg …. »

 

 

A quoi pouvait bien ressembler cette coiffe ? Charles Etienne Gaucher, dans son ouvrage « Voyage au Havre » publié en 1797, nous en donne une description tout aussi enthousiaste qu’obscure : « Un mélange de coquetterie, de grâce et d’opulence compose la toilette des villageoises de Bolbec. Leurs cheveux, relevés en toupet lisse, s’attachent sur le sommet de la tête et se couvre d’une toque de drap d’or ou d’argent, garnie par devant d’une bande plissée de dentelles ou de batiste, et par derrière de deux barbes pendantes et carrées qui laissent entrevoir le chignon… ». On en sait quand même beaucoup plus avec ce dessin de Louis-Marie Lanté  dans son ouvrage « Costumes de femmes du pays de Caux » publié en 1827.

 

 

Partout en Normandie, du pays de Caux à l’Avranchin, du Roumois au Cotentin, on rencontrait ces coiffes de mousseline avec toujours la même disposition en hauteur qui ajoutait encore à la stature de la femme normande. Mais elles n’étaient pas toutes semblables. Une extraordinaire multiplicité de formes, variant d’un département à l’autre, et même d’une paroisse à l’autre, faisait dire à certains « qu’en Normandie, il y avait autant de coiffes que de clochers ! ». Sans doute cette coiffe permettait-elle à ces femmes d’affirmer des particularités locales et leur appartenance à un groupe donné situé dans un terroir donné, ce qui nous incite à nous poser la question de l’origine de cet accessoire vestimentaire.

 

 

Sur cette question, les avis divergent. Certains, comme Léon BOUTRY, la font remonter au hennin du Moyen Âge. Ainsi écrit-il dans un article intitulé « La toilette des Normandes » en 1820 et paru en 1900 dans « Pays normand », revue d’ethnographie et d’art populaire : « On ne peut séparer la coiffure de la Basse-Normandie des autres parties de la province lorsqu’il s’agit d’en déterminer l’origine. Cette origine remonte, croyons-nous, au temps de Charles VI et de Charles VII. « Les dames et demoiselles de l’hostel de la Reyne, écrivait Juvénal des Ursins vers 1410, menaient grands et excessifs estats, et cornes merveilleuses, et avaient de chascun costé, au lieu de bourlées, oreilles si larges que quand elles voullaient passer l’huis d’une chambre, il fallait qu’elles se tournassent de costé et baissassent. » On donna à cette coiffure le nom de hennin…Voilà bien la coiffe telle que les anciennes xylographies nous la représentent, telle que la portaient la fastueuse Isabeau de Bavière et plus tard, Marie de Bourgogne. » Elle fut adoptée par la Normandie, et comme les Normandes sont tenaces, elles l’ont conservée au moins dans ses grandes lignes. ».

 

 

D’autres pensent tout autrement. Ainsi Andrée ROCHE, dans une conférence donnée lors du congrès des Folklories de Bayeux de septembre 2007, émet l’hypothèse que le bonnet normand est l’évolution d’un bonnet de toile très simple formé d’un fond coulissé à l’arrière et monté sur une « passe » qui se prolonge par deux pans très courts : la Cornette. Elle pense que cette coiffure n’est pas spécifique à notre région mais a été portée partout en France et même en Europe du XVIIe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et que certaines cornettes étaient plus compliquées ayant subi une évolution.

 

 

Les premières traces du bonnet cauchois apparaissent à Bolbec en 1729. Cela n’atteste pas que le premier bonnet cauchois ait été créé à Bolbec à cette date, mais que c’est la première fois, au vu des connaissances actuelles, qu’il est cité dans un inventaire réalisé par un notaire. Le notaire de Bolbec constate : « au cours de l’inventaire d’une petite boutique du bourg, qu’une couturière s’y livre à la confection de bonnets de soie pour femme, avec les morceaux de tissus fournis par ses clientes, donc n’appartenant pas à la succession et ne m’intéressant donc pas. Mais cette femme est membre d’une famille de chapeliers protestants, milieu où on avait le souci de faire apprendre un métier aux filles. »

 

 

En 1787 à Bolbec, un autre inventaire  permet de remarquer l’enrichissement du bonnet. Au décès de Pierre GILLES, imprimeur (sur indiennes) et marchand, la visite de la boutique montre les produits de l’industrie de la veuve, lingère de profession : « 23 bonnets en pièces à paillettes, fond argent, 10 bonnets à femme différentes espèces et dessins. La veuve possède personnellement 2 bonnets fond argent, un à bord d’or, l’autre d’argent à paillettes, un bonnet noir sur lequel est montée une coiffe, 14 coiffes unies, 26 béguins (coiffe qui s’attache sous le menton avec une bride) ».

 

 

A Bolbec, la confection des bonnets se fait toujours de la même façon, à partir de pièces de soie prédécoupées aux dimensions des bonnets. On note, grâce aux inventaires, l’enrichissement des tissus employés : de la soie unie à la soie fleurie, fleurs dorées, soie brochée d’or ou d’argent, broderies avec paillettes, et toujours avec du galon or ou argent, œuvre de spécialistes brodeurs. La garniture portée sur le bonnet est l’ancienne cornette dont le fond s’amenuise pour s’adapter au bonnet. Le nombre de coiffes en mousseline, ornées ou non de dentelles au gré de la cliente, indique son rang social. » Ce sont des couturières et des « lingères » qui confectionnaient localement ces « sabots ». Elles appartenaient à une corporation des « Brodeuses—bonnetières—Enjoliveuses de chefs frêtés » dont les statuts avaient été accordés en 1477 et renouvelés en 1709. Aussi étaient- elles  astreintes à un apprentissage et à l’obtention d’un brevet. Il y avait 18 mercières et  lingères en exercice à Bolbec en 1768. En 1729, à Bolbec, « dans la boutique où travaille Marie Cantais », on trouve « bonnets faits et à faire à usage de femme et plusieurs petits morceaux de taffetas et brocard de toute espèce de couleur et façon appartenant à plusieurs particuliers, donnés à ladite Cantais, lesquels n’ont été autrement spécifiés ».

 

 

A la lecture de ce document, nous constatons l’utilisation de matériaux en « pièces » pour la confection de ces bonnets. La question se pose donc de la provenance de ces éléments. La réponse nous est fournie par Raoul AUBÉ qui, dans un ouvrage intitulé « Vieux papiers normands », publie des annonces commerciales imprimées dans la dernière décennie du XVIIIe siècle. Parmi celles-ci, l’annonce d’un mercier : « Aux grandes boutiques de la Chambre des Comptes, rue de la Constitution, ci-devant des Carmes, N° 113, à Rouen, Delamare, marchand mercier vend … toute sorte de morceaux d’étoffe en or, en argent, en soie, pour bonnets de paysanne… » Les bonnets des Bolbécaises ont donc été faits avec des morceaux de ces broderies souvent ingénieusement utilisés avec économie, et dont les merciers se chargeaient de la vente.