Vous êtes ici : Accueil » MA MAIRIE » PUBLICATIONS » #14 Quand les Bolbécais marchaient sur la tête (partie 2)

Catégories : Si Bolbec m'était conté

Pour les femmes, se coiffer d’un bonnet était une marque d’élégance, comme pour les hommes de porter un mouchoir de cou. L’élégance des Bolbécaises devait être remarquable à cette époque puisque l’on note dans le récit de voyage d’un industriel en Normandie en 1752 : « Le peuple vit très bien dans le canton de Bolbec…Le peuple est bien vêtu, bien nourri et bien logé. Les femmes du peuple sont habillées de soye en passementerie de Rouen et coiffées de belles batistes ». Ce témoignage est confirmé par celui d’un autre voyageur en 1783 : «  A Yvetot, les femmes sont assez modestement vêtues, plus richement à Bolbec. Toutes ont sur la tête une toque plus ou moins riche, la plupart brodées or et argent, avec des paillettes de couleur… Les jours de cérémonie, elles portent de longues barbes avec un voile de mousseline posé sur la toque. » Les bonnets de cérémonie n’étaient pas l’apanage des femmes puisque, dans l’inventaire d’un imprimeur d’indiennes de Bolbec, on notait : « 2 bonnets blancs brodés et bord d’argent à usage de petite fille ».

 

 

On trouve également dans ces inventaires, des bonnets de deuil qui étaient beaucoup plus simples : « on y employait moire ou satin noir sans ornement, de même que les coiffes qui les garnissent. » En cas de deuil, les Bolbécaises avaient résolu le problème de leurs coiffures  : puisqu’elles avaient adopté le bonnet pour support de leurs coiffes, il leur suffisait de porter un bonnet de soie noire dont la « coeffe » était « unie » (sans dentelle). Comme le souligne Marguerite BRUNEAU dans son ouvrage,  « Les bonnets cauchois » : « le bonnet de deuil voisine avec le bonnet  à fleurs dans les inventaires datant de 1750 à 1815. Pas de femmes qui n’en possède au moins un, sinon plusieurs ».

 

 

Si ce « sabot » constitue l’élément le plus original du costume féminin, n’allons pas croire que les femmes de Bolbec allaient faire la lessive avec, sur la tête, cette coiffe brodée, plissée et enrubannée ! Elle était réservée pour les dimanches et les fêtes. Il fallait en effet un baptême, un mariage, une réunion de famille ou une grande fête religieuse pour que les Bolbécaises portent le bonnet de leurs aïeules. Pour les jours ouvrables, les femmes portaient des bonnets piqués, en toile matelassée (On les fabriquait à Rouen dès 1710) ou des serre-têtes à bords tuyautés ou encore des bonnets de coton plus amples qui protégeaient la tête du soleil et les cheveux du vent et de la poussière..

 

 

Le bonnet à fond brodé et à volants plissés appelé « Bavolet »  ou « Pierrot » était le plus largement répandu dans toute la Haute Normandie. Si l’origine du nom « Pierrot » reste mystérieuse, celle du  « Bavolet » est connue : le Bavolet est le « voile qui descend bas » volet venant de voile car cette coiffure à barbes était originairement un voile. Il était fixé à l’aide d’épingles en or, en argent ou en métal selon la richesse de la femme qui le portait. Ces épingles étaient piquées dans les cheveux arrangés en chignon. Cette coiffe devint par excellence celle de la femme aux moyens modestes. Elle connut une grande vogue au XIXe siècle, remplaçant peu à peu tous les bonnets connus.

 

Le « Pierrot » est constitué d’un fond, d’une passe et de deux volants plissés superposés et d’égale longueur. Les dimensions des éléments constitutifs vont varier ainsi que les tissus utilisés selon les différentes localisations géographiques, car là encore on trouve une grande diversité dans la forme de ces « Pierrots » selon la ville ou le village où l’on vit. La présence de broderie, l’importance du décor ou son absence donnent des indices quant à leur utilisation. Ainsi, les bonnets ordinaires de l’Eure n’ont aucune dentelle tandis que ceux de cérémonie sont très finement plissés et comportent une passe et un fond brodés au point de plumetis ou de Beauvais.

 

A Bolbec, ce bonnet rond a le fond légèrement agrandi et arrondi. La passe s’agrémente de volants posés à plat sur le devant et se prolonge par deux volants arrondis finement plissés  (à l’ongle ou à la paille) et bordés de dentelles. Les volants se rejoignent sur l’arrière et sont fixés sur le fond, découvrant dans l’échancrure ainsi créée les cheveux disposés en chignon que les Bolbécaises étaient fières d’arborer sur la nuque car ils témoignaient par là de leur fortune. En effet, jusqu’à une certaine époque, les jeunes ouvrières et les jeunes paysannes vendaient souvent leurs cheveux et montrer que l’on avait encore les siens était signe d’une certaine richesse. Cette vente de cheveux devint le symbole d’une décadence physique et sociale si bien incarnée dans le personnage de Fantine des « Misérables » de Victor Hugo.

 

 

Ce « pierrot » que portaient les femmes, ne faisait pas l’unanimité chez les hommes. Certains l’ont même moqué. Dans La Normandie illustrée, parue en 1854, Félix BENOIST, parlant du « Pierrot », fait cette remarque savoureuse : « Cette coiffure est d’un goût vulgaire et hardi et cependant elle ne messied pas à la beauté à la fois pleine d’éclat et de douceur des femmes qui l’ont adoptée. » Citons également, en lui laissant toute la responsabilité de ses écrits, Joseph MORLENT dans son « Guide du touriste au Havre et dans ses environs », édité en 1860 : « Le costume des Cauchoises bolbéquaises était jadis d’une rare élégance, et avait valu à la contrée, de la part de nos galants grands-pères, le nom de Géorgie de la France ; il contribuait à faire valoir le type de force et de fraîcheur qui s’est conservé longtemps. On disait bien déjà tout bas que peu de femmes montraient de belles dents, mais les cauchoises, en vraies filles d’Ève, ne portaient-elles pas la peine de leur penchant pour le fruit qui, dès l’origine du monde, fut fatal au genre humain. ». Le prix de l’humour est de toute évidence décerné à l’écrivain normand Charles Théophile Feret (1858-1928) avec cette annotation écrite de sa main sur une carte postale montrant le « pierrot » de Bolbec.

 

 

Grandeur et décadence, la fin du Second Empire sonne le glas des coiffes du Pays de Caux. Les grandes coiffes de Normandie, qui arrivent à leur apogée  vers 1850, disparaissent à leur tour. Passé 1890, riches dentelles et fonds de coiffe sont définitivement relégués aux oubliettes de l’Histoire ou convertis en bonnettes. Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à cette disparition : tout d’abord la complexité du montage, la fragilité des matériaux utilisés et la délicatesse de leur entretien (repassage, tuyautage, plissage) ont révélé leur incommodité et raccourci la durée de vie de ces ornements d’une façon significative. La fabrication industrielle des éléments de costume a participé à l’uniformisation des tenues vestimentaires, entraînant ainsi la disparition du costume régional. Enfin, l’influence sans cesse grandissante de la mode parisienne a amené les provinciales à abandonner ce qui, pourtant, faisait leur identité propre. Certaines de ces coiffes sont cependant parvenues jusqu’à nous et font aujourd’hui le bonheur de collectionneurs privés, l’admiration des visiteurs de nos musées régionaux et, qui sait, certaines dorment peut-être encore dans quelques greniers.